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LOYS XI.

Bretagne, le faire nommer roi, rassembler les grands, diviser la France… Oh ! oui, c’est ainsi… Et… moi, pourquoi ne pas monter sur ce que j’aurai détruit, rebâtir la vieille Bourgogne démantelée ? Quoi ! ce rêve de mes jeunes ans, ce but de ma vie, ce travail de mes pères qu’ils ont entrepris depuis des siècles, serait-ce moi qui mettrais la dernière pierre à la pyramide, qui frapperais le dernier cou à cette lutte acharnée ? Je serais roi !… Charles, Charles de Bourgogne… un trône ! l’égal de l’empereur ! Qui m’arrête ? Est-ce un fantôme ou un délire ?

Un valet, entrant.

Monseigneur, le conseil vous attend depuis une heure.

Le Duc

Qu’il attende ! ô Louis XI, Louis XI, je serais bien fou, bien insensé, plus insensé que toi si tu partais de ton cachot sans y avoir laissé, avec tes fers, quelque chose de ta puissance et de tes richesses ; et bien lâche aussi, puisque je t’ai sous mes pieds, de ne pas t’écraser comme un reptile. (Un moment de silence.) Je n’aurais jamais cru qu’un homme pût être aussi traître et aussi menteur. Est-ce ainsi que les Romains jadis observaient la foi des traités ? Et lui… Au reste, on le connaît, jamais un roi aussi roitelet n’a paru sur le trône, petit dans tout, dans ses actes, dans sa personne, tremblant à la guerre, avare et libertin, mais prodigue dans ses supplices… Et ces Liégeois, qui se sont soulevés encore une fois, qui ont tué l’archidiacre, pris l’évêque, incendié son palais ! Je vois de là leurs yeux sanglants, avec les membres de ce cadavre, et les Français excitant a déchirer, et puis le roi de France qui rit sous son chaperon, comme un renard quand ses louveteaux ont bien mangé ; mais, renard, je me ferai une fourrure de ta peau de bête.