Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lit, maintenant il y en à qui vivent heureux et contents, sans penser à la veille, au lendemain, à la vie, à l’éternité, et qui vivent pour le jour dont ils recueillent les joies comme le parfum qui s’exhale d’une fleur. Mais partons ! tout dort, le jour va bientôt venir (à peine était-il minuit) », et il lui semblait que l’aube pénétrât dans sa cellule ainsi que son anneau, souvenir du monde, qui allait habiter avec lui dans le tombeau de sa vie.

Aussitôt il prit un sac d’outils et la clef du caveau, qu’il s’était procurés, alluma une lanterne, descendit l’escalier et arriva à la porte de l’église qu’il ouvrit d’une main tremblante.

Chaque pas qu’il faisait lui semblait le pas de quelqu’un qui marchait derrière lui, et il se retournait en frissonnant, aussi pâle que les morts qui l’environnaient.

Il arrive haletant à la porte du caveau, l’ouvre et la referme.

Il descendit tous les degrés ; sur le dernier il s’arrêta et il plongea son regard dans un horizon de sépulcres, — et son regard se reporta ailleurs, et il ne vit encore que la mort, et la mort toujours. « Vite, vite, ouvrons le tombeau ! car peut-être va-t-on bientôt s’apercevoir de mon absence, peut-être même est-on déjà sur mes traces ! » Et il voulut prendre sa lanterne et remonter un degré, mais la lanterne lui glissa des mains et il ne put lever le pied ; il prêta l’oreille, et n’entendit que le cri lointain des chouettes et des hiboux, mêlés au sifflement du vent qui s’en tonnait sous les voûtes. Alors il trembla comme la feuille, ses dents claquèrent, ses jambes pliaient sous lui, car tout ce qui alors lui rappelait la vie était la mort pour son âme en torture. Enfin il avança et se mit à compter les tombes et à lire les inscriptions. À chaque marbre qu’il touchait, il lui semblait que le mort allait se réveiller pour le damner et le maudire.