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LE MOINE DES CHARTREUX
OU
L’ANNEAU DU PRIEUR.

Il y avait déjà huit jours que les caveaux de la Grande-Chartreuse avaient retenti du chant des morts, à l’enterrement du prieur, lorsque le Frère Bernardo, couché dans sa cellule, se rappela toute cette scène de deuil, et les plus petites circonstances de cette triste journée vinrent se représenter à sa mémoire, fraîches et récentes encore.

Il voyait de là sa longue robe, sa ceinture de corde, sa barbe blanche, sa couche de marbre et ses mains posées en croix sur sa poitrine ; à cette pensée il s’arrêta. C’était cette même pensée qui le torturait depuis si longtemps, c’est-à-dire depuis quelques jours, qui ne lui laissait pas un instant de sommeil, pas une heure de repos ; cette même pensée qu’il aurait voulu pour tout au monde effacer, anéantir, et qui se représentait là, toujours plus forte et plus puissante, parce qu’elle était belle et gracieuse. Il se releva, se mit à genoux et chercha un peu de repos dans la prière. Oh ! non, ce fut en vain ; toujours là, toujours là !

Il alla à sa fenêtre pour voir si le charme d’une nuit tranquille, si le silence de la nature endormie n’inspireraient pas à son âme plus de repos que la prière ou la vue d’un christ. Non ! et pourtant l’air était pur, le ciel sans nuage, la lune sereine ; la campagne était belle, quelques cabanes, un bois et un vaste château en formaient l’horizon.

Et son front se rida, et il pensa encore à la tombe du prieur ; la même image vint se représenter à son