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d’immense dans le vice, et de voluptueux dans le crime.

En se retrouvant chez elle, il lui sembla qu’il y avait longtemps qu’elle était partie, tant elle avait souffert et vécu en peu d’heures. Elle passa la nuit à pleurer, à rappeler sans cesse son départ, son retour ; elle voyait de là les villages qu’elle avait traversés, toute la route qu’elle avait parcourue ; il lui semblait encore être sur la jetée, à regarder la mer et la voile qui s’en va ; elle se rappelait aussi la noce avec ses habits de fête, ses sourires de bonheur ; elle entendait de là le bruit de sa voiture sur les pavés, elle entendait aussi les vagues qui mugissaient et bondissaient sous elle ; et puis elle fut effrayée de la longueur du temps, elle crut avoir vécu un siècle et être devenue vieille, avoir les cheveux blancs, tant la douleur vous affaisse, tant le chagrin vous ronge, car il est des jours qui vous vieillissent comme des années, des pensées qui font bien des rides.

Elle se rappela aussi, en souriant avec regret, les jours de son bonheur, ses vacances paisibles sur les bords de la Loire, où elle courait dans les allées des bois, se jouant avec les fleurs, et pleurant en voyant passer les mendiants ; elle se rappela ses premiers bals, où elle dansait si bien, où elle aimait tant les sourires gracieux et les paroles aimables ; et puis encore ses heures de fièvre et de délire, dans les bras de son amant, ses moments de transport et de rage, où elle eût voulu que chaque regard durât des siècles et que l’éternité fût un baiser. Elle se demanda alors si tout cela était parti et effacé pour toujours, comme la poussière de la route et le sillon du navire sur les vagues de la mer.

V

Enfin la voilà revenue, mais seule ! plus personne pour la soutenir, plus rien à aimer. Que faire ? quel parti prendre ? oh ! la mort, la tombe cent fois, si,