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la terre du bonheur et de l’amour, qu’elle n’avait qu’à attendre et espérer, et qu’elle le reverra plus tard ; mais, quand la nuit fut venue et que la lune vint à paraître au milieu de ses compagnes, comme une sultane au harem entre ses femmes, et qu’on ne vit plus que la mousse des flots, qui brillait sur les vagues comme l’écume à la bouche d’un coursier, alors que le bruit de la ville commença à s’évanouir dans le brouillard, avec ses lumières qui s’éteignaient, Mazza repartit.

La nuit — il était peut-être deux heures — elle ouvrit ses glaces et regarda dehors. On était dans une plaine et la route était bordée d’arbres, les clartés de la nuit passant à travers leurs branches les faisaient ressembler à des fantômes aux formes gigantesques, qui couraient tous devant Mazza et remuaient au gré du vent, qui sifflait à travers leurs feuilles, leur chevelure en désordre. Une fois la voiture s’arrêta au milieu de la campagne, un trait se trouvait cassé, il faisait nuit, on n’entendait que le bruit des arbres, l’haleine des chevaux haletant de sueur, et les sanglots d’une femme qui pleurait seule.

Vers le matin, elle vit des gens qui allaient vers la ville la plus voisine, portant au marché des fruits tout couverts de mousse et de feuillage vert ; ils chantaient aussi, et comme la route montait et qu’on allait au pas, elle les écouta longuement. « Oh ! comme il y a des gens heureux ! » dit-elle.

Il faisait grand jour, c’était un dimanche ; dans un village à quelques heures de Paris, sur la place de l’église, à l’heure où tout le monde en sortait, il y avait un grand soleil qui brillait sur le coq de l’église, et illuminait sa modeste rosace. Les portes, qui étaient ouvertes, laissaient voir à Mazza, du fond de sa voiture, l’intérieur de la nef et les cierges qui brillaient dans l’ombre sur l’autel ; elle regarda la voûte de bois, peinte de couleur bleue, et les vieux piliers de pierre