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monsieur, grand, maigre, pâle et aux pommettes saillantes.

— Quant à moi, je n’en prendrai pas, et pour cause… c’est trop fort.

— Des cigares ? dit le membre du Jockey-Club.

— Fi, des cigares ! y penses-tu, Ernest, devant des femmes ?

— Elles en sont folles au contraire, j’ai dix maîtresses qui fument comme des dragons, dont deux ont culotté à elles seules toutes mes pipes.

— Moi, j’en ai une qui boit du kirsch à ravir.

— Buvons ! dit un des amis qui n’aimait ni les cigares, ni le punch, ni la danse, ni la musique.

— Non ! que Paul conte son histoire.

— Mes chers amis, elle n’est pas longue, la voilà tout entière : c’est que j’ai parié avec M. Petterwell, un de mes amis qui est planteur au Brésil, un ballot de Virginie contre Mirsa, une de ses esclaves, que les singes… oui, qu’on peut élever un singe, c’est-à-dire qu’il m’a défié de faire passer un singe pour un homme.

— Eh bien ? Djalioh est un singe ?

— Imbécile ! pour ça, non !

— Mais enfin…

— C’est qu’il faut vous expliquer que, dans mon voyage au Brésil, je me suis singulièrement amusé. Petterwell avait une esclave noire nouvellement débarquée du vieux canal de Bahama — diable m’emporte si je me rappelle son nom — enfin cette femme-là n’avait pas de mari, le ridicule ne devait retomber sur personne, elle était bien jolie, je l’achetai à Petterwell ; jamais la sotte ne voulait de moi, elle me trouvait probablement plus laid qu’un sauvage.

Tous se mirent à rire, Paul rougit.

— Enfin un beau jour, comme je m’ennuyais, j’achetai à un nègre le plus bel orang-outang qu’on eût jamais vu. Depuis longtemps l’Académie des sciences s’occupait de la solution d’un problème : sa-