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Julietta, continua-t-il, connais-tu le duc Arthur d’Almaroès ?

— Je l’ai vu quelquefois, mais c’est comme de vous, j’en ai peur… Oh ! laisse-moi, laisse-moi ; il faut que je m’en aille… mon père ! oh ! s’il savait…

— Ton père ! eh bien ?

— S’il savait, vous dis-je, que vous me retenez ainsi, le soir… oh ! mais il vous tuerait !

— Je te laisse libre, Julietta, pars !

Et il laissa tomber son bras qui la tenait vivement étreinte.

Elle ne put se lever, quelque chose l’attachait au ventre de l’animal qui geignait tristement et humectait l’herbe de sa langue baveuse ; il râlait et remuait sa tête sur le sol comme s’il se mourait de douleur.

— Eh bien, Julietta, pars ! qui t’empêche ?

Elle s’efforça encore, mais rien ne put lui faire faire un mouvement, sa volonté de fer se brisait devant la fascination de cet homme et son pouvoir magique.

— Qu’êtes-vous donc ? lui dit-elle, quel mal vous ai-je fait ?

— Aucun,… mais parlons du duc Arthur d’Almaroès. N’est-ce pas qu’il est riche, qu’il est beau ?

Ici il se tut, se frappa le front de ses deux mains : « Oh ! qu’il vienne ! qu’il vienne donc ! »

Et puis ils restèrent ainsi tous les deux, longtemps, bien longtemps, la jeune fille tremblante, et lui l’œil fixé sur elle et la contemplant avidement.

— Es-tu heureuse ? lui demanda-t-il.

— Heureuse ? Oh ! non !

— Que te faut-il ?

— Je ne sais, mais je n’aime rien, rien ne me plaît, surtout aujourd’hui, je suis bien triste, et ce soir encore… votre air méchant… Oh ! j’en deviendrai folle !

— N’est-ce pas, Julietta, que tu voudrais être reine ?