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une âme ! tu veux donc croire ? tu t’abaisserais jusqu’à l’espoir ? Une âme ! tu veux donc être un homme, un peu plus qu’un arbre, un peu moins qu’un chien ?

— Eh bien non, dit Arthur en s’avançant dans la mer, non, je ne veux rien !

Puis il se tut et Satan le vit bientôt courir sur les flots, sa course était légère et rapide et les vagues scintillaient sous ses pas.

— Oh ! se dit Satan, dans sa haine jalouse, heureux, heureux… tu as l’ennui sur la terre, mais tu dormiras plus tard, et moi, moi, j’aurai le désespoir dans l’éternité, et quand je contemplerai ton cadavre…

— Mon cadavre ? dit Arthur, qui t’as dit que je mourrai ? Ne te l’ai-je pas dit ? je n’espère rien, pas même la mort.

— Les moyens les plus terribles…

— Essaie, dit Arthur qui s’était arrêté un instant sur la vague qui le ballottait doucement, comme s’il se fût tenu debout sur une planche.

Satan se tut longtemps et pensa à l’alchimiste : « Je l’ai trompé, se dit-il, il ne croit pas à son âme. Oh ! tu aimeras, tu aimeras une femme, mais, à celle-là je lui donnerai tant de grâce, tant de beauté, tant d’amour, qu’il l’aimera… car c’est un homme, malgré son orgueil et sa science. »

— Écoute, Arthur, lui dit-il, demain tu verras une fille de tes montagnes, tu l’aimeras.

Arthur se mit à rire.

— Pauvre sot, lui dit-il, je veux bien essayer, ou plutôt essaie de me tuer, si tu l’oses !

— Non, dit Satan, je n’ai de pouvoir que sur les âmes.

Et il le quitta.

Arthur était resté sur les rochers, et quand la lune commença à paraître, il ouvrit ses immenses ailes vertes, déploya son corps blanc comme la neige, et s’envola vers les nues.