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pouvoir que sur cela, quitte-moi, laisse-moi, fuis, car tu ne peux me servir.

— Non, non, je resterai, dit Satan avec un singulier sourire, je resterai !

La vanité est ma fille aînée, elle me donne les âmes de tous ceux qui la prennent, pensa-t-il en lui-même, j’aurai son âme !

En ce moment, les charbons qui s’éteignaient jetèrent encore quelques nappes de lumière, qui passèrent sur la figure d’Arthur ; elle apparut à Satan plus belle et plus terrible que celle des damnés, et même des plus beaux.

— Tiens, sortons d’ici, lui dit Arthur, le vent agite les arbres, la mer gronde et le rivage est dévasté. Viens ! nous parlerons mieux de l’éternité et du néant au bruit de la tempête, devant la colère de l’océan.

Ils sortirent.

Le chemin qui conduisait au rivage était pierreux et ombragé par les grands arbres noirs qui entouraient le château. Il faisait froid, la terre était sèche et dure ; il faisait sombre, pas une étoile au ciel, pas un rayon de la lune.

Arthur marchait, la tête nue et le visage découvert, il allait lentement et prenait plaisir à se sentir le visage effleuré par sa chevelure bleue et soyeuse. Il aimait le fracas du vent et le bruit sinistre des arbres qui se penchaient avec violence. Satan était derrière ; il sautillait légèrement sur les pierres, sa tête était baissée et il hurlait plaintivement.

Enfin ils arrivèrent à la plage, le sable en était frais, mouillé, couvert de coquilles et de varechs, qui roulaient vers la mer avec les galets entraînés par le reflux. Ils s’arrêtèrent tous les deux.

Arthur riait sauvagement au bruit des flots.

— Voici ce que j’aime, dit-il, ou plutôt ce que je hais le moins, mais cette colère n’est pas assez brutale, assez divine. Pourquoi le flot s’arrête-t-il et cesse-t-il