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tout bas, mais avec puissance : Albano, tu es un lâche !

— Si tu nous le montrais, continua l’officier.

Albano lança un regard perçant sur le tas de foin, puis il prit la montre, et, la posant par terre, il la regarda luire aux rayons du soleil.

En ce moment arriva Matteo Falcone, père d’Albano. Il s’informa de tout ce que c’était, ce que signifiaient ces cris et cette scène de sang.

— Rien, lui dit-on, un prisonnier qui s’est enfui ; il s’était caché sous ce tas de foin et votre fils nous en a avertis… grâce à cette montre, dit l’officier en l’indiquant du doigt.

Le fugitif fut tiré de dessous le tas de foin, ses genoux chancelaient, ses lèvres étaient pâles et ses yeux rouges de colère, ses mains palpitantes tâtonnaient à sa ceinture comme pour y chercher un poignard ; il n’y trouva qu’une plaie profonde et retira son poing tout ensanglanté.

Promenant ses yeux autour de lui, il rencontra le regard de Matteo et lui dit :

— C’est donc toi qui m’as livré ; va, tu es un lâche ! Sais-tu ce que j’ai fait, moi ? J’ai voulu venger une injure faite à ma fille ; j’ai frappé sur le prince, et son sang est retombé sur ma tête pour se mêler au mien. Adieu ! ils m’emmènent à l’échafaud ; adieu ! et l’on saura que Matteo est un traître !

— Ah ! le roi sera content, dit tout bas l’officier ; votre fils nous a été d’une grande utilité.

Le montagnard ne dit rien et mit une amorce à sa longue carabine.

Le soir, le Corse dit à Albano de le suivre jusque derrière la colline.

Il avait déjà pris son fusil et se disposait à sortir, quand sa femme lui demanda si elle ne pouvait pas aussi l’accompagner.

— Non, femme, reste, je te l’ordonne !

Et il y avait dans ces paroles un ton si positif et si