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idée, qu’un amour, qu’une passion : les livres ; et cet amour, cette passion le brûlaient intérieurement, lui usaient ses jours, lui dévoraient son existence.

Souvent, la nuit, les voisins voyaient, à travers les vitres du libraire, une lumière qui vacillait, puis elle s’avançait, s’éloignait, montait, puis quelquefois elle s’éteignait ; alors ils entendaient frapper à leur porte et c’était Giacomo qui venait rallumer sa bougie qu’une rafale avait soufflée.

Ces nuits fiévreuses et brûlantes, il les passait dans ses livres. Il courait dans les magasins, il parcourait les galeries de sa bibliothèque avec extase et ravissement ; puis il s’arrêtait, les cheveux en désordre, les yeux fixes et étincelants, ses mains tremblaient en touchant le bois des rayons ; ils étaient chauds et humides.

Il prenait un livre, en retournait les feuillets, en tâtait le papier, en examinait les dorures, le couvert, les lettres, l’encre, les plis, et l’arrangement des dessins pour le mot finis ; puis il le changeait de place, le mettait dans un rayon plus élevé, et restait des heures entières à en regarder le titre et la forme.

Il allait ensuite vers ses manuscrits, car c’étaient les enfants chéris ; il en prenait un, le plus vieux, le plus usé, le plus sale, il en regardait le parchemin avec amour et bonheur, il en sentait la poussière sainte et vénérable, puis ses narines s’enflaient de joie et d’orgueil, et un sourire venait sur ses lèvres.

Oh ! il était heureux, cet homme, heureux au milieu de toute cette science dont il comprenait à peine la portée morale et la valeur littéraire ; il était heureux, assis entre tous ces livres, promenant les yeux sur les lettres dorées, sur les pages usées, sur le parchemin terni ; il aimait la science comme un aveugle aime le jour.

Non ! ce n’était point la science qu’il aimait, c’était sa forme et son expression ; il aimait un livre, parce