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C’est qu’il est dans l’existence d’un homme de tels malheurs, des douleurs si vives, des désespoirs si poignants, que l’on abandonne, pour le plaisir d’insulter celui qui nous fait souffrir, et que l’on jette avec mépris sa dignité d’homme comme un masque de théâtre, et l’on se livre à ce que la débauche a de plus sale, le vice de plus dégradant, et on expire en buvant et au son de la musique. C’est l’exécuté qui s’enivre avant son supplice.

C’est alors que les philosophes devraient considérer l’homme, quand ils parlent de sa dignité et de l’esprit des masses !

Un événement important était pourtant venu distraire Florence plongée au milieu de ses cris de désespoir, de ses prières et de ses vœux ridicules : c’était la mort des deux fils de Cosme de Médicis, que le fléau n’avait pas plus épargnés que le dernier laquais du dernier bourgeois.

C’était ce jour-là qu’on faisait leurs obsèques, et le peuple pour un instant s’était soulevé de son matelas, avait ouvert sa fenêtre de ses mains défaillantes et moites de sueur, pour avoir la joie de contempler deux grands seigneurs que l’on portait en terre.

Le convoi passait, triste et recueilli dans son deuil pompeux, au milieu de Florence ; les corps de Garcia et de François étaient étendus sur des brancards tirés par des mules noires. Tout était calme et paisible et l’on n’entendait que le pas lent des mules sur le pavé, le bruit du brancard dont les timons craquaient à chaque mouvement, puis les chants de mort qui gémissaient à l’entour de ces deux cadavres, et dans le lointain, de divers côtés, on entendait, comme un chant de tristesse, le glas funèbre de la cloche qui gémissait de sa forte voix d’airain.

À côté des brancards marchaient le docteur Roderigo, le duc de Bellamonte, le comte de Salfieri.

— Est-il possible, dit ce dernier en s’adressant au