Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

science et fasse que d’autres ne se laissent point prendre à tes discours !

Ils sortirent aussitôt, et l’escalier résonnait encore du bruit de leurs pas que Beatricia contemplait, par sa fenêtre, les étoiles qui brillaient au ciel et la lune qui argentait les toits de Florence.

II

Rentré chez Cosme, son père, Garcia ne put fermer l’œil de la nuit ; il se leva, n’en pouvant plus, car la fièvre battait avec violence dans ses artères, et il rêva toute la nuit à la prédiction de Beatricia.

Je ne sais si, comme moi, vous êtes superstitieux, mais il faut avouer qu’il y avait dans cette vieille femme aux longs cheveux blancs, dans son costume, dans toute sa personne, dans ses paroles sinistres, dans cet appareil lugubre qui décorait son appartement avec des crânes humains et avec des cheveux d’exécutés, quelque chose de fantastique, de triste, et même d’effrayant qui devait, au xviie siècle, en Italie, à Florence, et la nuit, effrayer un homme tel que Garcia de Médicis.

Il avait alors vingt ans, c’est-à-dire que depuis vingt ans il était en proie aux railleries, aux humiliations, aux insultes de sa famille. En effet, c’était un homme méchant, traître et haineux que Garcia de Médicis, mais qui dit que cette méchanceté maligne, cette sombre et ambitieuse jalousie qui tourmentèrent ses Jours, ne prirent pas naissance dans toutes les tracasseries qu’il eut à endurer ?

Il était faible et maladif, François était fort et robuste ; Garcia était laid, gauche, il était mou, sans énergie, sans esprit ; François était un beau cavalier aux belles manières, c’était un galant homme, il maniait habilement un cheval et forçait le cerf aussi aisé-