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Le jour et une partie de la nuit, elle se promenait dans les rues de Florence, mais le soir elle rentrait chez elle pour manger et pour dire la bonne aventure à ceux qui n’avaient pas voulu s’arrêter en public devant une pareille femme et qui avaient honte de leur superstition.

Un jour donc elle fut accostée par deux jeunes gens de distinction qui lui ordonnèrent de les conduire chez elle ; elle obéit et se mit à marcher devant eux.

Pendant la route, et en traversant les rues sombres et tortueuses du vieux quartier de la ville, le plus jeune des deux témoignait ses craintes à l’autre et lui reprochait l’envie démesurée qu’il avait de se faire dire son avenir.

— Quelle singulière idée as-tu, lui disait-il, de vouloir aller chez cette femme ? cela est-il sensé ? Songe que maintenant il est près de huit heures, que le jour baisse ; songe encore qu’en allant dans ce sale quartier de la plus vile populace, nos riches épées, les plumes de nos feutres et nos fraises de dentelles peuvent faire supposer qu’il y a de l’or.

— Oh ! tu es fou, Garcia, interrompit François, quel lâche tu fais !

— Mais, enfin, cette femme, la connais-tu ? Sais-tu son nom ?

— Oui, c’est Beatricia.

Ce mot produisit un singulier effet sur le jeune homme et l’arrêta tout court, d’autant plus que la devineresse, entendant prononcer son nom, s’était retournée ; et cette pâle figure, avec ses longs cheveux blancs que le vent agitait légèrement, le fit tressaillir.

Garcia comprima sa crainte et continua de marcher silencieusement, mais se rapprochant de plus en plus de son frère François.

Enfin, au bout d’une demi-heure de marche, ils arrivèrent devant une longue allée qu’il fallait traverser avant d’arriver chez Beatricia.