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LA PESTE À FLORENCE[1].


C’est que je te hais d’une haine de frère.
Al. Dumas, Don Juan de Marana.

I

Il y avait autrefois à Florence une femme d’environ soixante ans que l’on appelait Beatricia ; elle habitait dans le quartier le plus misérable de la ville, et ses seuls moyens de vivre se réduisaient à dire la bonne aventure aux grands seigneurs, et à vendre quelques drogues à ses voisins pauvres, lorsqu’ils étaient malades. La mendicité complétait ses revenus.

Elle avait dû être grande dame dans sa jeunesse, mais alors elle était si voûtée qu’on lui voyait à peine la figure ; ses traits étaient irréguliers, elle avait un grand nez aquilin, de petits yeux noirs, un menton allongé, et une large bouche, d’où sortaient deux ou trois dents longues, jaunes et chancelantes, répandait sans cesse de la salive sur sa lèvre inférieure. Son costume avait quelque chose de bizarre et d’étrange : son jupon était bleu et sa camisole noire ; quant à ses chaussures, elle marchait toujours nu-pieds en s’appuyant sur un bâton plus haut qu’elle.

Joignez à cela une magnifique chevelure blanche qui lui couvrait les épaules et le dos et qui tombait des deux côtés de son visage sans ordre et sans soin, car elle n’avait pas même un simple bandeau pour les retenir.


  1. Septembre 1836.