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Cela est vrai, mais tout le monde ne voyage pas en calèche, et nos baladins dormaient alors dans leurs carrioles. Marguerite et Pedrillo marchent à pied et causent tous deux. Le silence n’était alors interrompu que par le son de leurs voix qui se faisait seul entendre au milieu de la campagne, par le pas des chevaux sur la poussière, et par le bourdonnement d’une abeille qui bourdonnait autour de la cage du lion et l’empêchait de se livrer à ses rêves, car il en avait peut-être aussi, lui ; il pensait à son soleil d’Afrique, à la tanière qu’il avait laissée bien loin, là-bas, dans d’autres pays ; il pensait à son vaste désert, à la lionne qui couchait avec lui sous l’ombre du palmier, et il mordait le bout de ses griffes avec mélancolie. Laissons-le penser à son bonheur d’autrefois, laissons-le rêver à ses joies brutales, et revenons aux peines de Marguerite.

— Tu l’aimes donc bien, dit-elle tout à coup.

— Eh bien, oui, Marguerite, pourquoi toujours le demander ?

— Que lui trouves-tu de bien ?

— Tout ; mais tu m’ennuies, que veux-tu ?

— La mort !

— Oh ! tu es folle !

— Peut-être ; tu es méchant, je ne te demande pas l’amour, je ne te demande pas la pitié, mais je te demande la cause de cet amour, puis la mort après.

— Quant à la cause, je n’en sais rien, dit Pedrillo d’un ton courroucé ; quant à la mort, je t’en prie, Marguerite, tu sais que l’homme a des accès de colère.

— Et la femme des accès de jalousie, répondit Marguerite en riant ironiquement, oui, de jalousie, c’est-à-dire de haine. Je te demandais la cause de ton amour pour Isabellada ; en bien, moi, je vais te dire la cause de ma haine pour elle et pour toi.

— Marguerite ! prends garde !