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LE GUIDE MUSICAL

courte et toujours rénovée. Les violons chantent sur la quatrième corde un thème élégiaque, comme Bruckner seul en trouve. Le scherzo se relie à l’adagio directement, le thème d’entrée est le même, pris en mouvement rapide. Le fond du scherzo est le vieux cadre de Haydn et de Mozart. L’intérêt repose dans le détail du contrepoint, qui s’entrelace parmi les phrases mélodieuses. Le finale échappe à une description. C’est énorme, effrayant de dimensions, de mise en œuvre, de difficultés maîtrisées. Il y a une double fugue entamée par les gros instruments, puis poursuivie dans un réseau de contre-chant et thèmes déjà entendus. Ensuite vient un choral de cuivre, proche parent du thème du Graal de Parsifal, à part l’harmonisation chromatique. Les périodes fuguées et déclamées alternent en progression jusqu’à l’entrée du second orchestre formé de quatre cors, trois trompettes, trois trombones et un basse-tuba. C’est absolument grandiose quand la masse métallique attaque le choral tandis que les gros instruments de l’orchestre chevauchent et que tous les thèmes s’éparpillent aux voix supérieures.

C’est une belle œuvre ; elle ne s’adresse certes pas au grand public. Même pour nombre d’auditeurs sensitifs et d’intellect ouvert, elle a quelque chose d’abstrus, d’énigmatique. Je reconnais volontiers que la musique de Bruckner manque d’effusion. Au moment suprême, où l’on désirerait quelque chose d’éperdu, d’inviable, où l’on souhaiterait le coup d’aile de Beethoven ou le torrent mélodique de Wagner, le froid et mesuré Bruckner se reprend, coupe court et, avec une ingéniosité inlassable, nous entraîne vers d’autres voies. On ne peut planer, savourer ; il faut encore entendre, non pas, comme on voudrait, avec l’oreille de l’esprit, mais analyser les merveilles savantes qui sont offertes sans relâche.

L’âme de l’auteur était poétique, comme son faire était souverain. Et son œuvre est rarement poétique au sens touchant, sentimental. Il rappelle Leconte de Lisle qui entraîne, sans être lui-même entraîné. Le malentendu entre l’auditeur froissé, irrité et le compositeur impassible provient peut-être de ce que Bruckner a pris le terme symphonie au sens strict du mot. Son œuvre est presque incompatible avec une exégèse, un parallélisme littéraire. Ce n’est pas un poème symphonique où l’auditeur se forge des visions chimériques que l’œuvre exécutée vient renforcer après les avoir suggérées.

L’œuvre de Bruckner n’est que la combinaison souvent géniale des sons et des thèmes. Ses moyens, ses expressions sont volontairement limitées. Mais ses compositions, dans leur dénudation voulue, ont leur beauté spéciale, comme l’eau-forte, qui n’use que du noir et du blanc, et est susceptible d’expression si profonde.

La musique de Bruckner n’est pas pour faire rêvasser les maladifs ; elle est pour la joie des musiciens.

Merci à Nikisch d’avoir monté cette œuvre ardue, qui n’a guère été comprise et n’a eu que peu de succès. L’exécution était excellente sans atteindre la perfection, ce qui me paraît impossible avec une partition pareille.

Le soliste était Burmester, le violoniste national allemand. Il a joué un peu faux d’abord, puis juste, puis bien le Concerto de Beethoven. Grand succès. Il y avait encore au programme une symphonie de Mendelssohn. Nous n’y sommes pas resté. Après la commotion produite par Bruckner, la musique de Mendelssohn n’aurait été qu’agitation dans le vide.

M. R.


DRESDE. — Peu de concerts depuis le commencement de la saison. Le 22 septembre, trois-cent-cinquantième anniversaire de la Kapelle royale, Au programme, deux psaumes pour chœur double a capella, de Heinrich Schütz ; Gloria pour soprano et ténor, chœur et orchestre, de la messe en mineur de Adolph Hasse ; Jubel Ouverture de Weber ; scène pour soprano et baryton de l’opéra le Templier et la Juive de Heinrich Marschner ; graduel pour chœur a capella de Reissiger ; ouverture de concert en la majeur de Julius Rietz ; ouverture de Tannhœuser ; Liebestod de Tristan et Yseult ; prélude de Parsifal. Tout a réussi à souhait. Il en est toujours ainsi avec les excellents artistes que sont Mmes Malten, Wittich, Wedekind, MM. Anthes, Scheidemandel et M. von Schuch, le génial directeur de cette vaillante Kapelle de Dresde, dont la réputation n’est plus à faire.

Pour sa représsntation de retraite, Mme von Schuch a choisi l’opéra, depuis longtemps délaissé, Don Pasquale. La partie de Norine lui convient si bien, qu’on voudrait l’y revoir plus d’une fois encore, C’eșt avec un profond regret qu’on se sépare d’une artiste de la valeur de Mme von Schuch. Nous l’avons vue créer Lola de Cavalleria, l’Ami Fritz, Pagliacci, Lorte et d’autres opéras, avec une rare intelligence de la scène. Interprétė par elle, le moindre rôle prend du relief, parce que tout y est pensé. Chez Mme von Schuch, le savoir et les dons naturels s’accordent de la façon la plus heureuse ; et puisqu’elle est décidée à quitter la scène, il faut espérer qu’elle consentira à former des élèves qui perpétueront ses traditions.

À la satisfaction générale, le ténor Anthes a été rengagé pour plusieurs années. Dans la dernière représentation des Folkunger, il a été particulièrement applaudi aux côtés de Mme Malten, Von Chavanne et de M. Scheidemantel, les créateurs de la populaire partition de Kreschmer, pour laquelle on a fait d’intéressantes modifications de mise en scène.

Au premier concert d’abonnement (série B), nous avons eu comme soliste M. Plumket Greene, de Londres. On ne peut pas dire, répéterons-nous avec un de nos confrères, que le but de la direction ait été tout à fait manqué. Beaucoup d’artistes allemands vont se faire entendre très fructueusement à Londres : il est donc juste de faire de temps