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O morts ! ouvrez l’oreille au dernier anathème !
Écoutez, ô tombeaux survivant aux cités !
Écoutez, astres, cieux, univers ! Écoutez,
De ma postérité cendres infortunées !

Puisque, faisant mentir les jeunes destinées,
Vous avez dès l’aurore éteint tous les espoirs ;
Puisque le vieux soleil et les astres des soirs
Ont voilé leurs splendeurs pour n’être point complices,
Puisque, gorgés de sang et joyeux des supplices,
Molochs inassouvis, sur des hommes hurlants
Vous refermiez le gouffre embrasé de vos flancs ;
Puisque dans l’âme humaine, éblouie, aimante, ivre
D’espoir, vous avez mis avec l’effroi de vivre
L’irrémissible deuil d’un éternel enfer ;
Puisque a cet oiseau libre, heureux, chantant dans l’air,
Au fond de vos filets vous avez coupé l’aile ;
Puisque sur la nature et la forme immortelle,
Sur le Désir, le Beau, la Liberté, l’Amour,
Un sceau réprobateur fut posé tour à tour ;
Puisque rien ne fut vrai de ce que vous promîtes ;
Puisque l’arbre divin vit tomber tous ses mythes
Et ses cultes flétris comme des fruits trop mûrs ;
Puisque rien ne vivra dans les déserts futurs :
O Dieux ! Par tous les maux et par toutes les larmes,
Par les siècles de haine et les siècles d’alarmes,
Par tout le sang versé sur vos autels rivaux,
Par tous les morts blanchis et tous les morts nouveaux,
Par toutes les douleurs sans fin, par tous les crimes