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Portons l’amer péché d’avoir créé les Dieux !

Qu’étiez-vous cependant, Rois des races passées,
Sinon les humbles fils de nos propres pensées,
Créations d’un jour, floraisons d’un moment,
Songes d’un illusoire et bref enivrement
Dont les siècles punis ont éternisé l’heure ?
D’un rayon de soleil égayant ma demeure,
Beaux, indulgents, penchés sur mon berceau soumis,
Vous pouviez m’apparaître ainsi que des amis
Que la détresse appelle et que l’angoisse invoque
Dans la déserte horreur de la nuit équivoque.
Et les jours de ma vie, égaux et bienheureux,
Comme un ruisseau tranquille au fond d’un vallon creux,
Eussent coulé si doux à l’ombre de vos ailes !

Mais rien n’a tressailli dans les hauteurs cruelles
Et les Dieux n’ont semé dans nos seins énervés
Que l’éternel remords de les avoir rêvés.
Du jour où l’homme est né jusqu’à l’heure dernière
La Désillusion marche dans son ornière
Et tout ce qu’il adore, aime, espère, est pareil
Aux neiges de l’hiver fondant au chaud soleil.
Mon enfance charmée, en leurs métamorphoses,
Crut entendre les Dieux soupirer dans les choses :
Vanité ! mon enfance était seule à chanter.
Homme, alors que l’esprit s’envole et va heurter
Les barrières d’airain des cieux inaccessibles,
Mon délire a cru voir aux mains des Dieux sensibles