Page:Guerne - Les Siècles morts, III, 1897.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

La plaine est sans limite où, dans la froide aurore,
L’humanité, vieillie et fratricide encore,
Se rua pêle-mêle à son combat dernier.
C’est là. Champ de terreur et de meurtre, charnier
Où, couchés face à face et bossuant la neige,
Des morts semblent brandir un glaive sacrilège
Et de leurs bras roidis, rigidement levés,
Garder le geste vain des coups inachevés.
Princes, Impérators, Rois barbares, Khalifes,
Chefs et soldats, seigneurs et serfs, clercs et pontifes.
Dont les temples rasés ne font plus sur le sol
Qu’un monticule égal d’où, le soir, prend son vol
Le hibou taciturne, ami des ombres lourdes,
Tous sont là. L’ouragan couvrit leurs plaintes sourdes.
Et la terre frémit et le firmament noir,
Pour ne plus rien entendre et pour ne plus rien voir.
Voila d’obscurité sa face indifférente.
Et c’est là que la race innombrable et souffrante
Dans la haine et la mort a scellé son destin ;
C’est là que, haletant vers un but incertain
Et de glaives jaloux se déchirant eux-mêmes,
Les peuples insensés ont mêlé leurs blasphèmes
Et, chassés par le monde, acharnés, furieux,
Pour la dernière fois pris à témoin leurs Dieux.

Maintenant l’ombre vient, nage, s’étale et roule
Un océan de nuit sur l’immobile foule ;
Et le silence, accru de moment en moment,