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LES SIÈCLES MORTS

Loin des cieux, dans l’angoisse et l’ombre ensevelis,
Loin de l’azur en fête où l’attendait son Père,
Loin du Trône éternel, où va-t-il ?

Nul repaire
En ses flancs insondés n’amassa plus de nuit
Que n’en roule l’espace où Jésus plonge et fuit.
Champs déserts, noirs chaos d’astres morts dont la cendre,
Comme un sable jeté dans un lac, semble étendre
Des cercles ténébreux qui vont s’élargissant.
Un opaque brouillard flotte, monte, descend
Et remonte, pareil aux mouvantes nuées
Que l’âpre hiver accroche aux cimes obstruées.
L’ombre est sinistre : il va ; l’ombre en ses profondeurs
À toutes les noirceurs joint toutes les hideurs ;
L’ombre est aveugle ; l’ombre est sourde ; l’ombre est traître ;
L’ombre énorme est un puits muré : Christ y pénètre.
La mer sombre déborde : il passe. À son côté
Déferlent lourdement des flots d’obscurité,
Heurtant des murs de nuit et des remparts de brume,
Encor plus loin, là-bas où plus rien ne s’allume,
Où croupit l’invisible au fond du réservoir
Des ténèbres, où tout est si vide et si noir
Qu’un astre en y fuyant éteindrait sa crinière.
Là, gît la grande Nuit stérile et meurtrière,
Dans son palais d’ébène, au porche épais, couvert
De bitume, aux couloirs tortueux où se perd
Le dernier souvenir que la lumière existe.