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LES SIÈCLES MORTS

Et ceux qu’Hellas barbare avait nommés devins.
Et les corps transparents et les fantômes vains
Dressaient autour de moi leurs impalpables haies,
Aussi loin que, le soir, l’œil peut, dans les futaies,
Suivre l’effacement des arbres alignés.

Silence ! Éveillez-vous, âmes des premiers-nés !
Ô morts qui tressaillez dans la demeure inerte,
Par la brèche soudaine et par la porte ouverte,
Ô morts, qu’avez-vous vu ?

Doux, pâle, ensanglanté,
Du suaire royal couvrant sa nudité,
Le flanc percé, le front ceint de lueurs divines
S’épanchant en rayons de chaque trou d’épines,
Et de quadruples traits de lumière glissant
Des éclatantes mains et des pieds teints de sang,
Le Christ foule aujourd’hui les ténébreux décombres.
Il vient ! Et l’espérance a traversé les ombres,
L’éternité s’emplit de frémissements sourds.
Une vague pâleur rôde au sommet des tours,
Comme lorsqu’une aurore, encor flottante et grise,
Avant l’obscur pavé blêmit la haute frise.
Baignés par ce reflet des profondeurs sorti,
Les morts suivaient le Dieu qu’ils avaient pressenti.
Ainsi marche un troupeau pressé derrière un pâtre.
Et la race choisie et la foule idolâtre
Sur ta trace, ô Jésus ! multipliaient leurs rangs.
Et je te vis bénir leurs cortèges errants