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La poix brûlante fond et ruisselle en cascades
Et la flamme montant de degrés en degrés
Jusqu’au rouge sommet s’élance en jets pourprés.

Alors, des rangs prochains de l’armée, une haute
Et lugubre clameur emplit l’air. Côte à côte,
Chefs et soldats, les yeux en pleurs, les bras tendus,
Vers les chars des trésors se ruaient éperdus.
Comme précipités par un vaste délire,
Ils couraient vers la flamme où soudain semblaient luire
Des avalanches d’or et de brûlants rubis.
Vases, colliers, joyaux, agrafes des habits,
Tout, au hasard lancé, sombrait au gouffre avide.
Les statères pleuvaient comme un métal liquide
Qui tombe en bouillonnant du creuset d’un fondeur ;
Et de la dévorante et blanche profondeur
Un fleuve en fusion, par nappes éclatantes,
Sur le sol crépitant s’épanchait vers les tentes.

Excité par les cris, par mille bras poussé,
Le cheval de Nysa tend son col convulsé,
Hume l’acre parfum, dresse sur l’encolure
Ses’ crins épouvantés que roussit la brûlure,
Recule, ivre d’effroi, se cabre en hennissant,
Et fou, ses flancs neigeux tachés d’un noble sang,
Bondit et disparaît dans le brasier farouche.

Trompe aux accents d’airain que le héraut embouche,
Résonne dans l’espace ! Éclatez, ô clameurs !