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La foule en se taisant contemple l’humble ascète,
Silencieux, courbé, seul et nu sur le faîte.
L’encens mêle sa brume aux flots du népenthès
Autour de Kalanos qu’on nomme aussi Sphinès.
Et lui, le vénérable et l’antique Brahmane,
Dans l’abîme incréé d’où la Sagesse émane
Pour la dernière fois plonge et ne voit plus rien.
Un songe séculaire a rompu le lien
De sa pensée inerte et de son corps sans force.
Sa peau brune, ridée, est comme une âpre écorce
Au tronc d’un arbre mort que la flamme a léché.
Ses cheveux, au sommet du crâne desséché,
Noués d’un cordeau jaune et relevés en gerbe,
Se dressent, gris et drus, comme une touffe d’herbe
Qu’un troupeau vagabond dédaigne en s’éloignant.
Les ongles acérés percent son poing saignant ;
De sa poitrine maigre aux côtes de squelette
S’échappe un court soupir qui faiblit et halète ;
Et sur ses reins ployés se tord un vil lambeau.

Et Kalanos s’appuie aux poutres du tombeau.
Il hésite ; son œil s’entrouvre et se referme.
Mais soudain, sans trembler, haussant sa taille ferme,
Le vieillard se relève et d’un suprême effort
Oppose un sein robuste au souffle de la mort.
Tel, aux pentes des monts, le pin, chargé de neige,
S’incline en frémissant sous le vent qui l’assiège
Et se redresse encor jusqu’au dernier assaut,