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Debout sur la colline où son ombre s’étale,
Le Phare du Salut brille dans la hauteur.
Venez, et sous l’abri de ma Croix triomphale,
Enivrez-vous d’amour au sang du Rédempteur ! —

Et tandis qu’emporté dans le vol de son rêve,
Jésus prophétisant parlait encor, voici
Que Satan s’approchait et grandissait sans trêve,
Formidable et vainqueur, sur le faîte obscurci.

Et l’immense linceul de ses deux ailes noires
Couvrait le mont, l’espace et le ciel disparu
Et les cités du monde et les vieux territoires
Et Jésus blêmissant dans le silence accru.

Tel qu’au jour furieux des révoltes célestes,
Le Réprouvé, superbe et couronné d’éclairs,
De l’antique Vertu bravant les derniers restes,
Impérissablement surgissait dans les airs.

Comme d’un antre obscur qu’une torche ensanglante,
Du fond mystérieux de l’avenir béant,
Montait la vision farouche et violente
Du mal universel et du forfait géant :

C’était le rut sans frein des voluptés barbares,
Et le faible broyé sous le talon des forts,
Et le sol infécond, souillé de sombres mares,
Comme un gouffre altéré buvant le sang des morts.