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Mais ton âme, Étranger, lasse déjà de vivre,
Vers un rêve éternel prend un vol idéal.
Les jours sont brefs ; les temps sont mûrs ; la foi t’enivre
Entre, et ceint de vigueur par la vertu du Livre,
Goûte l’oubli suprême et l’abandon total.

Le soir tombe. Un vieillard entend ta voix mêlée
Aux longs croassements des funèbres corbeaux.
H t’accueille et te guide à la sainte assemblée
Où les Frères, vêtus de laine immaculée,
Sont pareils à des morts assis sur des tombeaux.

La méditation flotte dans l’air nocturne
Comme un oiseau muet dans un ciel triste et gris ;
Et seule, du milieu du cercle taciturne,
Telle qu’une onde rare en s’égouttant de l’urne,
La voix du vieillard filtre au fond des cœurs meurtris :

— Homme, si, dédaignant l’illusion du monde,
Ton âme s’est fermée aux songes d’ici-bas ;
Si de ton corps vaincu ta main puissante émonde
La volupté charnelle et la débauche immonde ;
Si ta vertu s’apprête à de plus durs combats ;

Si ta langue, vouée à l’éternel silence,
Oublieuse des mots, se sèche par degrés ;
Si tu marches sans peur et plein de vigilance,
Jour et nuit, dans la route où la Thora balance
Ses mystiques rameaux sur les fronts inspirés :