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religion du Beau et l’amour de la Poésie. Être le disciple approuvé d’un tel Maître paraît encore un suffisant titre d’honneur.

L’œuvre du grand Poète est jugée ; elle rayonne à la place qui lui appartient. Tous ceux dont l’âme est assez généreuse pour comprendre et pour aimer, sont unanimes à admirer ces poèmes dont la perfection ne semble point connaître de défaillance. C’est sur cette perfection même qu’il convient d’insister ; c’est par elle que l’influence de M. Leconte de Lisle fut surtout puissante ; par elle qu’il est le véritable maître de tous les vrais et consciencieux poètes. M. Leconte de Lisle apparaît en effet comme la plus haute et la plus pure conscience poétique de ce siècle.

Le vers français lui dut une noblesse unique et une majesté suprême. Par l’harmonie et la fermeté de leur conception comme par l’impeccable exécution de chaque vers, ses poèmes ne sont comparables qu’à ces frises qui se déroulaient majestueusement aux métopes des temples attiques, mais dont chaque détail était aussi finement sculpté que les ornements d’un vase ou les bas-reliefs d’un autel. M. Leconte de Lisle atteignit la perfection parce qu’il y tendit sans cesse et qu’il n’oublia jamais que la Muse est la plus sainte et la plus jalouse des Déesses. Par ses conseils, par son exemple, il nous apprit à considérer comme un sacrilège tout désordre dans la composition, tout relâchement dans la forme, et surtout toute vulgarité dans la pensée. Quelles que soient la valeur et la différence de leurs théories et de leurs œuvres, tous les Poètes ont enfin compris que leur premier devoir était de rêver, eux aussi,