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La fuite, les combats, la louche trahison,
Puisque tu viens, César ; puisque de sa prison
A tes yeux éblouis, hors de la rude toile,
Cléopâtre en riant jaillit comme une étoile ?

O tumulte ! ô terreur ! Alexandrie en feu
Comme un bûcher sanglant fume sous le ciel bleu.
Un nuage d’airain s’étend, s’abaisse et flotte
Sur la mer. Les vaisseaux, dérivant sans pilote,
Dans un gouffre enflammé sombrent en tournoyant ;
Et jusqu’à l’horizon sinistre et flamboyant
Le souffle du désert sur la ville embrasée
Sème les noirs lambeaux des livres du Musée.

Mais la Fortune est sûre ; et César triomphant
Entre ses bras vainqueurs berce comme un enfant
La divine Lagide au baiser qui l’enivre.
Il part ; mais elle-même a tenté pour le suivre
Les flots capricieux de l’abîme écumant.
Jours glorieux et doux ! O soirs où son amant,
Oubliant à ses pieds Rome et la République,
A l’heure solitaire où le soleil oblique
D’un manteau violet couvre les monts Sabins,
L’aimait, humide encor de la tiédeur des bains,
Ou, sur sa gorge aiguë appuyant son front libre,
Dans la riche villa songeait au bord du Tibre !
Les Destins sont changeants et brefs. L’assassinat
Teint du sang de César le pavé du Sénat.