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Qui, sans force et vaincu, gît dans une autre terre
Et sur son noir tombeau ne reverra jamais
Un chœur religieux poser les derniers mets !
Qu’il dorme, non vengé, dans l’éternelle crypte,
Époux avec l’épouse et Romain en Egypte,
Et que les sombres Dieux, indulgents aujourd’hui,
Reçoivent Cléopâtre expirant avec lui ! —

La coupe vide échappe à la Reine épuisée.
Cléopâtre, foulant la sardoine brisée,
Parmi les noirs éclats marche vers le grand lit.
Elle tombe, frissonne, hésite, ensevelit
Son corps dans les tapis soyeux ; la laine fine
Irrite ses flancs bruns et pèse à sa poitrine,
Et comme un moule pur la plume des coussins
Garde en son épaisseur l’empreinte de ses seins.
Vainement les murs frais versent l’ombre. La fièvre
La dévore, et la soif a desséché sa lèvre.
Mais près d’elle un panier, qu’un esclave subtil
Tressa de joncs égaux et de roseaux du Nil,
Offre un amas pourpré de figues violettes,
Orgueil des vieux jardins, dignes, aux jours de fêtes,
De la table des Dieux ou du royal festin.
Et, lente, Cléopâtre a d’un geste incertain
Vers la corbeille pleine étendu sa main pâle,
Et soudain... Mais la mort, la mort prompte et fatale,
La mort libératrice est là.

                                       Voici l’instant