Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.
93
LE SURVENANT

sur la commune, et l’échine des montagnes, tantôt arrondie au creux du firmament, se confondait maintenant à la plaine. À travers la brume de ses larmes, à peine Marie-Amanda voyait-elle le paysage. Déjà c’était elle, à trente ans, la plus vieille des femmes de la famille. C’était à elle, la fille aînée, de donner le bon exemple. Ainsi donc la vie est comme la rivière uniquement attentive à sa course, sans souci des rives que son passage enrichit ou dévaste ? Et les êtres humains sont les roseaux impuissants à la retenir, qu’elle incline à sa loi : des joncs bleus pleins d’élan, un matin, et le soir, de tristes rouches desséchées, couleur de paille ? De jeunes joncs repousseront à leur place. Inexorable, la rivière continue de couler : elle n’y peut rien. Nul n’y peut rien.

La petite Mathilde, étonnée de voir sa mère si longtemps immobile, se pendit aux jupes de Marie-Amanda :

— Ma… man !

Le petit Éphrem, vacillant sur ses jambes, l’imita :

— Ma… man… man… man…

Marie-Amanda se retourna. Elle avait encore le cœur gros, mais elle parut consolée et dit simplement à Alphonsine :

— Si on faisait de la plorine comme dans mon jeune temps…

La petite Mathilde battit des mains :