Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
90
LE SURVENANT

Outre la table, le poêle et les chaises, dans la cuisine, un meuble unique qu’un éclat de bois sous un coin maintenait d’aplomb à un angle de la pièce, servait à la fois de buffet et de commode. Sur une garniture de toile écrue, à motifs brodés de fil rouge, une carafe de cristal ornait le centre. D’un rose irréel, décorée de colombes dorées portant un message blanc enroulé dans leur bec, et entourée de six verres minuscules, elle jurait par sa fantaisie avec le reste des choses naturelles. En l’apercevant, Didace avait observé, mécontent : « Si on dirait pas un courouge avec sa couvée… » Les premiers temps, dès qu’un regard étonné s’y posait, gêné par la présence d’une semblable frivolité dans la maison, il sentait le besoin d’en expliquer l’origine : « C’est la bru… » Alphonsine l’avait gagnée, à une kermesse soreloise, en même temps que la tasse à thé dans laquelle seule elle buvait.

Puis on fit boucherie. Angélina s’offrit à préparer la saucisse en coiffe et le boudin.

— C’est pas de refus, s’empressa de répondre Phonsine qui n’en pouvait plus.

Mais Marie-Amanda, loin d’être dépaysée par l’ouvrage, ne se plaignait jamais de la fatigue. À peine si parfois, les mains sur les hanches, elle s’étirait la taille de façon exagérée, pour alléger ses reins, un moment, du poids de toute leur richesse.