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LE SURVENANT

elle vit Alphonsine, le front collé à la vitre, les yeux pleins de rêve, qui regardait dans la direction du Survenant. Le parler soudainement agressif, Angélina lui demanda :

— De quoi c’est que t’as à te plaindre de lui s’il est si bon travaillant ? Est-il malcommode ? Ou ben dur d’entretien ?

Alphonsine hocha la tête en signe de dénégation :

— Il s’est donné juste pour sa nourriture et son tabac. Faut dire qu’il mange comme un défoncé. Mais c’est pas encore ça…

Mystérieusement elle alla d’une fenêtre à l’autre, puis à la porte, surveiller les alentours et s’assurer que personne n’écoutait. Puis elle revint tout proche d’Angélina et resta un long moment, soucieuse, avant de porter d’une voix basse, grave et inquiète, la condamnation du Survenant :

— Il boit !

Un mur de silence descendit entre les deux femmes, occupées chacune à suivre le fil de ses pensées. Encore plus qu’un objet d’horreur pour Alphonsine l’alcool était une menace, une malédiction sur la maison. N’avait-on pas connu des cultivateurs auparavant rangés qui, pour s’être adonnés à la passion de la boisson forte, avaient bu leur maison, leur terre, même du bien de mineurs « qui ne se perd pas » ?