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LE SURVENANT

— C’est-il gratis ? questionna Angélina.

Le Survenant se réveilla : il revenait de loin et ne put réprimer un long éclat de rire. Angélina prononçait : grati. Ah ! la Normande qui pense toujours à ses sous !

Pour la première fois, Angélina ne reconnut pas sur la bouche du Survenant le grand rire clair qu’elle aimait tant et qui résonnait comme la Pélerine de Sainte-Anne, quand le temps est écho. C’en était trop. Le mauvais rire, après l’intrusion de Bernadette Salvail, les paroles de tristesse du Survenant, la familiarité de la bohémienne et le passage de l’automobile, acheva de la bouleverser. Son cœur, alourdi de chagrin, se mit à fondre en pleurs. Vainement elle chercha à refouler puis à dérober ses larmes : elles tremblèrent d’abord par petits grains, au bord des cils, comme la pluie fine, indécise ; puis elles tombèrent par brins drus sur ses lèvres comme la pluie chaude de l’été ; puis par grosses gouttes, sur ses mains, comme l’ondée.

Le Survenant s’étonna de les voir tomber :

— Tu pleures ? Pourquoi que tu pleures, Angélina ? Pas par rapport à moi, hein, la Noire ? Je veux pas que tu verses une seule larme pour moi. Jamais !

De son mieux Angélina ravala son chagrin et, déjà courageuse, répondit :