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LE SURVENANT

De nouveau l’harmonium souffla péniblement, ronfla, puis la musique se plaignit, presque humaine, avec la voix du Survenant.

Sous l’impulsion des trois femmes inclinées, la balançoire reprit son rythme berceur. Mais Angélina, déroutée par la présence de ses compagnes, ne retrouva pas le fil enchanté de sa rêverie. Peu logique, aveuglée par son sentiment, l’infirme qui trouvait en soi toutes les raisons d’aimer le Survenant n’admettait pas qu’une autre femme eût pour lui l’ombre d’un penchant amoureux. Lisabel, bonne comme du pain blanc, n’avait rien de redoutable, mais que venait chercher ici la belle Bernadette Salvail, écourtichée dans sa robe blanche, avec un ceinturon de soie transparente et des bottines boutonnées haut ? Elle et ses petits manèges…

De la bouche du Survenant le moindre compliment eût eu pour Bernadette Salvail la valeur d’une parole d’Évangile. Mais dépitée de le voir faire si peu de cas d’elle et des frais atours qu’elle avait revêtus uniquement en son honneur, elle prêta à son chant une oreille déçue, tout en se rongeant un ongle, avec acharnement, jusqu’au ras de la peau.

Reviens, veux-tu…

C’est à croire qu’un roi se laisse tutoyer par une actrice et chanter des chansons composées de mots