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mes mémoires

L’Action catholique

J’éprouve quand même quelque hâte à rentrer au Collège. En quel état vais-je retrouver ma petite Action catholique, fondée l’année précédente ? Du Grand Séminaire, j’avais continué de la suivre, par voie épistolaire. Émile Léger faisait son possible. Mes jeunes gens augmentaient leurs conquêtes parmi leurs condisciples. Mais privée de toute direction à sa portée, ainsi me l’écrivait Émile Léger, l’œuvre végétait. Pour éviter les méfiances et soupçons de l’année précédente, je dois, même de retour, n’agir qu’avec beaucoup de discrétion ; j’évite de rencontrer mes jeunes apôtres, j’en reste à des relations par lettres que les initiés se transmettent sous le manteau. Grâce à cette diplomatie, au printemps de 1903, j’ai regagné la confiance de mes supérieurs. On ne me croit plus un esprit dangereux. Coup sur coup, en l’espace de quinze jours, je me vois conférer les ordres majeurs. Le 14 juin, fête de saint Basile, je suis fait sous-diacre ; le 21 du même mois, fête de saint Louis de Gonzague, — un de mes saints favoris, — je deviens diacre. Enfin le 28 juin j’accède à la prêtrise. Période heureuse, inoubliable en ma vie. Je me sens la tête dans le ciel. Tout en m’acquittant de ma tâche de professeur, j’ai dû me livrer à trois semaines de retraite, de méditations sur les grandes choses que le bon Dieu accomplissait en moi. Je n’ai jamais oublié la joie vive, exaltante qui me souleva, le 28 au matin, lorsque sorti de la cathédrale, je pris conscience de mon nouvel état. Je l’ai écrit plus haut : c’était par un matin ensoleillé. Il y avait encore plus de soleil dans mon âme que sous le firmament. Depuis quatre ans, dans ce collège encore à la période de la naissance, et plutôt pauvre en personnel ecclésiastique, j’étais devenu, par la force des choses, directeur intellectuel de toute une jeunesse, et même un peu son directeur spirituel. Les moyens, les pouvoirs me manquaient, hélas, pour m’acquitter de ma tâche. Ce matin du 28 juin, je me sentais tout à coup muni de tous les pouvoirs du sacerdoce, tenant en moi, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, toutes les sources du fleuve de vie. Il ne tiendrait qu’à moi, me semblait-il, qu’à mon zèle, qu’à mon union étroite avec Dieu, de faire à une jeunesse passionnément aimée, tout le bien qu’elle a le droit d’attendre du prêtre. Heureuse euphorie que celle des lendemains d’ordination sacerdotale où l’on a la con-