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RETOUR À VALLEYFIELD

J’en suis là, tout au bonheur de faire enfin un peu de théologie et de m’adonner sérieusement à ma formation ascétique. Ma santé s’accommode, cette fois, de la discipline du Séminaire sulpicien, lorsque tout à coup, à l’époque du jour de l’an, une autre catastrophe me fond sur la tête. L’abbé Boucher, professeur de Belles-Lettres au Collège de Valleyfield, — il n’y avait pas de Rhétorique cette année-là, — vient d’être nommé curé de la paroisse de Saint-Stanislas-de-Kostka. Il faut un remplaçant. Mgr Émard se voit contraint de me rappeler au Collège. Pour cette autre fois, encore séminariste, me voici professeur en titre de Littérature et de Belles-Lettres. Et j’aurai à débuter, en plein milieu d’une année scolaire, à la veille de l’examen semestriel. Je fais ma malle en hâte. En passant par une librairie, à Montréal, je m’achète la Théorie des Belles-Lettres du Père Longhaye, s.j., alors en grande vogue dans les collèges. Mon prédécesseur à Valleyfield disait m’avoir laissé sa bibliothèque. Aussitôt arrivé, j’ouvre l’armoire. Surprise et déception ! J’y trouve un vieux manuel de rhétorique datant de 1878, sept volumes des Études critiques de René Doumic et la collection complète de l’Almanach du voleur. Il faut dire que le cher abbé était friand de joyeusetés plus ou moins salaces, de gaudrioles, de bonnes blagues rabelaisiennes. Il collectionnait les sottisiers. Avec ces maigres instruments je vais donc débuter dans ma carrière de professeur de littérature. Parviendrai-je à m’en tirer ? Ce sera, en tout cas, par impossibilité de faire pire que mes prédécesseurs.