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mes mémoires

d’aller au « grand collège ». Geste candide. Intention qui manquait sûrement de pureté…

À treize ans, il adviendrait pourtant que je partirais pour le « grand collège ». Mes parents, ma mère surtout, très portés pour l’instruction, assumaient le risque audacieux. La dépense paraissait sûrement extravagante. On aurait à braver les railleries jalouses de l’entourage et de la parenté. Parfait illettré comme tant d’autres de son temps, mon grand-père maternel, apprenant la nouvelle, ne trouva, pour m’encourager, que cet horoscope peu rassurant : « Tu vas au grand collège ? Tu vas faire un gratte-papier et un voleur ! » Un incident de ma vie de petit écolier était venu en aide à mes parents. En 1891, dans ma paroisse sursaturée de politique et d’élections, la passion du husting et de la boîte à scrutin avait fini par gagner jusqu’aux bambins de l’école des Frères. Nous eûmes nos élections. Et pour ces élections faites au grand jour, dans le village, et selon le parfait rite électoral, l’on vit se passionner le grand monde de la paroisse et une partie du comté. À titre d’orateur de l’un des candidats, je me fis une enviable réputation. Très flattés, mes parents estimèrent que j’avais gagné mes épaulettes, et qu’un orateur de cette force n’en pouvait rester à la petite école.

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Au collège, pendant mes deux premières années, je garde le souvenir d’une vocation plus ou moins mise en veilleuse. Petit campagnard, violemment déraciné de son chez-soi, je m’acclimate avec peine à mon nouveau milieu. Puis, quelqu’un me manque par-dessus tout : un directeur de conscience. J’entends par là l’éducateur-né, l’homme de Dieu, au rôle sans égal dans la vie collégiale, et qui, avec deux ou trois professeurs éveilleurs d’âme et l’influence de quelques camarades, décide communément de l’avenir de tout collégien. En ma troisième année, la Providence me fait don de cet homme rare, en la personne de l’abbé Sylvio Corbeil. Encore jeune, l’abbé est alors professeur de Rhétorique au Séminaire de Sainte-Thérèse. Il se peut qu’en littérature il s’entende médiocrement. Comme tant de ses contemporains, il a pris sa chaire sans aucune préparation spéciale. Envoyé aux universités romaines, il en est revenu avec le tradition-