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premier volume 1878-1915
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de Philosophie, je l’ai dit plus haut, je trouvai Du Pape de Joseph de Maistre. De Maistre deviendra un autre de mes auteurs de choix. Dans la suite, je lirai à peu près tous ses ouvrages. En attendant, je passai mes vacances de cette année-là à l’analyse minutieuse, paragraphe par paragraphe, de ce livre Du Pape, livre fort et dense quoique assez mal bâti, que je m’acharnai à lire pour ce qu’il m’ouvrait de vastes perspectives, pour ce qu’il me forçait à réfléchir.

Ainsi, me revient cette époque de ma jeunesse. En mes années de Versification et de Belles-Lettres, j’ai été, comme tous ceux de mon âge, un adolescent rêveur, qui se plaisait même volontiers en quelques heures de mélancolie. Ai-je jamais cédé à ce que l’on appelle les bleus, rêveries morbides où se dissout la volonté, abandon de l’âme aux voluptés des sens et des instincts ? En ces moments, je me complaisais volontiers en la lecture de certaines pages de Chateaubriand, de Maurice de Guérin, en quelques élégies de Lamartine. Mes nerfs solides de fils de paysan, l’équilibre mental que je tenais des miens m’ont toujours protégé contre les excès de la nervosité. Je reprenais facilement mon aplomb. D’où me venaient ces accès de mélancolie ? Sans doute d’une sensibilité trop vive, de la nostalgie du chez-moi, de la vie campagnarde dont je ne me suis jamais guéri. Je souffrais aussi d’un grand vide en moi, du besoin d’une affection vive, éthérée, un peu chimérique, que je n’arrivais pas à trouver en mon milieu. Mes amitiés les plus chères me laissaient toujours de la déception. Une piété plus profonde, plus éclairée, m’eût peut-être apporté le remède, la pacification spirituelle que je cherchais. Hélas, je dois le dire, ni l’enseignement religieux, ni même la direction spirituelle qu’on m’avait libéralement dispensés n’avaient réussi à me dévoiler Notre Seigneur Jésus-Christ comme l’être historique et vivant, le Maître divin qui peut combler l’affection humaine la plus exigeante. Le Christ restait pour moi un Dieu, un ami lointain et flou que je croyais aimer plus que je ne l’aimais en réalité. En vain, en mon année de Rhétorique, m’étais-je mis régulièrement à la lecture de l’Évangile, dans l’espoir d’atteindre l’être mystérieux, de me composer sa figure divine et vraie. Mal préparé à cette lecture, manquant des contextes nécessaires, cette lecture m’avait profité, non sans me laisser