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IX

DEUILS

Ma sœur Flore

Ces événements, ce sont trois deuils, trois grands deuils qui, de quatre ans en quatre ans, ont douloureusement jalonné ma vie. Le 31 janvier 1916, mourait l’aînée de mes sœurs du nom d’Emond. Elle s’appelait Flore. Elle était devenue Madame Joseph Boyer. Par l’âge elle me suivait de près. Nous étions très liés. Nés tous deux à l’époque où les enfants ne faisaient pas que s’amuser, mais travaillaient, nous avions partagé la même enfance laborieuse. Nous avions, en commun, les souvenirs de nos cueillettes de framboises, de nos corvées de bois de grève ; elle avait été avec moi chef de l’équipe. Pour entretenir l’ardeur de la petite troupe, remonter les courages fléchissants, j’avais trouvé en elle une précieuse auxiliaire. Elle était grave, d’un courage tranquille, parlait peu. Pour elle, enfant de huit ou neuf ans, le travail, même monotone, même dur, s’appelait devoir. On ne prononçait même pas ce grand mot, mais on accomplissait la tâche quotidienne comme une chose toute simple, sans s’épargner, puisque nos parents ne s’épargnaient point. Avec ce sens du devoir, ce que je revois en elle, c’est un mélange de douceur et de fermeté. Un caractère pacifique, mais en même temps généreux, et d’une féminité virile. Quand nous eûmes grandi, notre amusement favori, ainsi qu’il arrive dans les familles nombreuses mélangées de