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mes mémoires

Notre maître, le passé (II), ont confirmé, ce me semble, ce que j’avais écrit dans mon volume Vers l’émancipation, sur les causes et origines de « l’Acte de Québec ».

Le 11 mai je m’embarque donc pour le Canada. Je rentre au pays avec quelques ménages d’étudiants canadiens qui ramènent avec eux des enfants nés là-bas. Quelques-uns, un entre autres, désaxés par leur séjour en France, se croient et se disent fort détachés du pays natal. Leur rentrée n’est pas loin de leur paraître comme la mauvaise aventure de leur vie. Étrange prestige, sortilège souverain de la terre des aïeux ! Un soir, nous entrons dans le fleuve Saint-Laurent. Au loin, vers la gauche, les rives de la Gaspésie nous apparaissent dans une demi-brume : quelques blanches silhouettes de maisons, quelques clochers… Le pays de Québec est là ! Deux ou trois enthousiastes entonnent le Ô Canada. À la fin, tous ces jeunes rapatriés chantent en chœur, les yeux un peu mouillés. Et les moins émus ne sont point les prétendus déracinés.

Je reviens au pays content, mais un peu soucieux. Je sais la besogne qui m’attend. Il me faudra reprendre mon cours d’histoire. Et je suis devenu directeur de L’Action française. Au grand ennui de mes collègues de la Ligue, j’ai passé huit mois de mon directorat en Europe, ne suivant forcément la revue que de très loin. J’aurai à me passer le cou dans le collier, sans jamais oublier, je l’espère, que je suis prêtre. Une période nouvelle, me semble-t-il, s’ouvre dans ma vie, et chargée de quelles lourdes responsabilités ! Mais avant de l’aborder, je sens le besoin de consigner ici quelques événements de vie familiale. Ils m’ont laissé de trop graves souvenirs pour qu’il me soit permis de les négliger.