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deuxième volume 1915-1920

Pèlerinage à Lisieux

Les mois passaient. Nous fûmes au printemps, un printemps maussade, tout en pluies et en jours sombres. Pâques vint. J’avais promis à un jeune étudiant de l’Institut catholique de Paris, le Père Albert Cousineau, c.s.c., futur évêque d’Haïti, de l’accompagner, pendant les vacances du printemps, dans une tournée à travers la Normandie et la Bretagne. Je connais un peu la Bretagne pour y avoir séjourné en mes vacances de 1908, un peu aussi la Normandie. Il ne me déplaît pas d’y retourner, maintenant que mes fonctions d’historien m’imposent de connaître davantage ces provinces de France. Je ne raconterai pas ce voyage avec un jeune compagnon des plus agréables. Je m’en tiens au souvenir de notre pèlerinage à Lisieux. Nous avions dit notre messe à la chapelle du Monastère. Notre déjeuner pris, nous entreprenons de nous rendre au cimetière commun de Lisieux où la Petite Thérèse a encore sa tombe. Il pleut à verse. Nous cheminons sous nos deux parapluies, par une route gravelée où l’eau du ciel coule en ruisseaux. Il est à peine huit heures du matin. Hardiesse, pensons-nous, que de cheminer vers une tombe, de si bonne heure et par un temps pareil. Hardiesse de pèlerins isolés et venus de loin. Surprise ! Une couple de cent personnes sont là sous les parapluies, priant avec ferveur auprès d’une humble croix dont l’on n’aperçoit, du reste, qu’une pointe, tant elle disparaît sous l’amas de fleurs entassées par les pèlerins. Déjà, en cette année 1922, les foules accourent à Lisieux vers la petite moniale devenue tout à coup, dans l’Église, la figure la plus séduisante et la plus aimée parmi les saints contemporains. Au Carmel, les religieuses nous ont remis quelques reliques en réalité de peu d’importance. À mon retour au Canada, en visite chez l’une de mes sœurs, j’aperçois, au fond d’un lit, l’un de ses enfants — un petit garçon — qui a mine d’un mourant. Il succombe à une pleurésie. Le médecin l’a pratiquement abandonné. Je dis à ma sœur : « Voici une relique d’une petite sainte qui, en France, fait beaucoup parler d’elle. Je suis allé en pèlerinage sur sa tombe. Je te laisse ma relique. Fais donc une neuvaine à la Petite Thérèse, avec tous tes petits enfants. » Ce fut promis. Le septième ou huitième jour de la neuvaine, à la grande stupéfaction du médecin qui s’adonne à passer, l’enfant condamné est là qui joue avec ses petits frères