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mes mémoires

fond des baies sauvages, et comme pour ajouter à quelques scènes tragiques du roman, s’élève parfois, pareil à l’appel d’un homme égaré dans la montagne, le cri plaintif, presque désespéré du huard. D’autres soirs, quand le vent de la baie de l’Ours — vent du nord — souffle trop cinglant, la lecture a lieu dans la grande salle de la maison, autour du poêle à deux ponts, vieille relique que nous avions conservée, et qui, par ses yeux rouges, semble plonger dans le monde des rêves et du folklore.

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D’autres souvenirs sur Saint-Donat pourraient ici trouver place. L’air des montagnes fut-il si nécessaire à mon travail et à ma santé que le soutenait mon médecin ? J’y ai vécu, en tout cas, des jours de calme, de repos vivifiant, et j’ai dit dans quel paysage enchanteur. J’ai réussi à m’y recomposer une partie de ma vie d’ancien fils d’habitant. Chaque année, vers la mi-mai, je monte à L’Abitation pour une courte huitaine, me rendre compte de l’hivernement de la maison, m’adonner à quelques parties de pêche aux alentours du promontoire, faire mon jardin. J’en viendrai à manger, au cours de l’été, mes pommes de terre, ma rhubarbe, ma laitue, mes oignons, mes carottes, mes haricots, etc., et on le pense bien, d’une succulence incomparable. J’ai même commencé à fleurir un petit parterre de quelques fleurs vivaces. À mon voyage de la mi-mai, je trouve la végétation encore en bourgeons. Les hautes herbes se sont effondrées sous les neiges. Il m’est donné de pouvoir mieux admirer mes merisiers géants, mes épinettes au tronc si droit qui projettent dans le ciel leurs pointes audacieuses. L’été, pour nous donner la pleine sensation d’une nature neuve, le soir, les lièvres viennent brouter le gazon autour de la maison, à quelques pas de nous ; des perdrix souvent s’égarent dans nos sentiers ; nous apprivoisons des écureuils ; ils apprennent à manger dans le creux de nos mains ; ils répondent même à notre appel. Plusieurs années, j’emporte une douzaine de poussins, accompagnés d’une mère poule. Ils sont destinés à nous fournir, au cours des vacances, de la viande choisie. Mais surtout, derrière leur haut enclos en broche, par leur caquetage, leurs cocoricos de débutants, ces poussins me donnent si bien l’illusion d’une basse-cour.