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deuxième volume 1915-1920

Ébauche d’ Au Cap Blomidon

La plus grande partie de ces jours de visite, l’Archevêque et ses compagnons ont voulu l’employer en une distraction moins austère. J’ébauche alors mon deuxième roman, Au Cap Blomidon, dont une partie de l’action se déroule à Saint-Donat, mais l’action principale au pays acadien. L’Archevêque n’a de cesse que je ne lui aie lu cette ébauche. C’est tout notre voyage en Acadie, notre voyage de 1915, que le roman fait revivre. Je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance à ces œuvres d’ « évasion » qui n’ont guère joué dans ma vie que le rôle de distractions. Il ne m’est pas indifférent toutefois que ces sortes de travaux aient pu distraire quelques bonnes âmes.

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Ainsi passaient les jours à Saint-Donat. Non pas néanmoins en réceptions ou visites continuelles. J’ai tout de suite organisé mon travail. En ce temps-là, je fais mes recherches aux Archives pendant les vacances de Pâques, de Noël, pendant les dernières semaines de mai et les premières de juin, aussitôt les cours finis à l’Université. À Saint-Donat, je mets en œuvre ma documentation. C’est là que j’esquisse La Naissance d’une Race, Lendemains de conquête, Vers l’émancipation et quelques-uns des ouvrages qui suivirent. Je me suis fait aménager, dans un coin de ma véranda, une retraite en forme de solarium. Je m’y réfugie pour travailler, dans le silence parfait, la vue bornée très proche, par un rideau de jeunes sapins et de jeunes épinettes qui, les jours de grand soleil, m’envoient le robuste parfum de leur résine. Certains après-midi, quand les moustiques ne se font pas trop importuns, je m’installe, de préférence, au grand air, dans un endroit merveilleux et solitaire, à trente pieds de ma chapelle. En ce lieu, au bord du roc, sous l’ombre épaisse, au plus haut de mon promontoire, j’éprouve le charme de n’apercevoir aucun signe, aucune forme de civilisation. Rien que le versant de la haute montagne à deux milles, montagne de forte futaie qu’on eût dit vierge ; rien aussi que les eaux du lac dont le clapotis lèche, de sa musique monotone, le galet d’en bas. Milieu inspira-