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deuxième volume 1915-1920

Me voici déjà à m’ennuyer de La Blanche et de vous une heure à peine après mon arrivée… En tout cas j’aime à vous dire entre nous combien il [le R. P. Provincial] est heureux que vous soyez avec nous et que vous ayez presque l’air d’en être content…

Dans mon roman L’Appel de la Race, j’ai évoqué quelque peu le paysage et mes souvenirs du lac McGregor. C’est aux abords de la Maison des Oblats qu’un soir s’aventurait la famille Lantagnac, en villégiature dans la région. Les airs de fanfare entendus sur le lac par cette famille de mon roman, airs de chansons folkloriques, air du Ô Canada, ce sont bien là des concerts que j’y ai maintes fois entendus, répercutés par les grandes orgues des montagnes. Les belles vacances que j’ai passées là, vacances mêlées de travail et de distractions, comme je les ai toujours aimées ! On m’avait assigné pour résidence, une petite et ancienne maison de colon, située presque au bord du lac. Les scolastiques l’avaient baptisée d’un beau nom : le Château Saint-Ange. D’un seul étage, à toit incliné, blanchie à la chaux, elle contenait quatre petites pièces. J’en occupais deux : l’une comme chambre à coucher, l’autre comme cabinet de travail. Je me trouvais à bonne distance de la maison centrale des scolastiques érigée au haut de la butte. Le jour, je pouvais travailler sans le moindre dérangement ; le soir, je m’endormais en écoutant la chanson monotone et mélancolique des bois-pourris qui avaient élu domicile dans les arbres voisins, chanson, comme l’on sait, d’un rythme infatigable, se prolongeant des heures durant. Au lac McGregor, les pique-niques forment la principale attraction des vacances. Et voici ce que l’on appelle un pique-nique. On y peut aller deux et trois fois la semaine si le beau temps s’y prête. Dès la veille au soir, un écriteau assigne le canot où chacun prendra place et chaque canot porte un nom ; l’un par exemple s’appelle le Mazenod. Donc, le matin, lever à cinq heures ; méditation, messe à la chapelle. La messe aussitôt finie, départ des éclaireurs qui prennent les devants, s’en vont par-delà le lac préparer le déjeuner. La masse des scolastiques, accompagnés de leur supérieur, ne tarde pas à se mettre en route. Chacun se dirige vers le canot qui lui a été assigné. On part en silence ; on continue méditation et actions de grâces. On parcourt un mille sur le lac en direction d’une montagne dont j’ai oublié le nom. Chaque canot porte d’ordinaire sept avironneurs. Le Père Villeneuve, moi-même, nous prenons l’aviron à