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deuxième volume 1915-1920

tout le buste de l’orateur se donnaient l’air de foncer sur l’adversaire. Mais quel contraste dans l’élocution ! Sir Wilfrid Laurier parlait de source, avec une aisance jamais en faute. Chez sir Robert la parole, une parole sourde, avait besoin, eût-on dit, d’être catapultée. Il se saisissait le front à deux mains comme pour s’aider et comme pour s’arracher les idées de la tête. La phrase venait, mais avec contrainte et presque avec grimace. Et malgré moi, je pensais à l’homme à la cervelle d’or d’Alphonse Daudet se grattant si péniblement de dessous le crâne ses derniers lingots.

C’est encore vers le même temps, en 1915 ou en 1916, qu’il m’est donné de revoir le grand homme, mais cette fois, de beaucoup plus près. L’Institut canadien-français d’Ottawa m’invite à donner une conférence sous ses auspices. Elle aura lieu dans une salle du Château Laurier. Et je ne sais trop pourquoi — pour corser évidemment sa publicité et s’attirer plus de monde — l’Institut invite sir Wilfrid à présider la conférence. Frais émoulu du petit milieu de Valleyfield, je ne suis guère habitué à pareils honneurs. Aussi est-ce un peu tremblant que, ce jour-là, vers quatre heures et demie de l’après-midi, je fais mon entrée au Château. Tout un monde en grande toilette s’y trouve et cause dans la salle d’entrée. À peine ai-je fait quelques pas, cherchant quelqu’un de l’Institut, qu’un majestueux vieillard se détache du groupe et s’en vient vers moi :

— Vous êtes le conférencier ?

— Hélas, je le suis.

— Pourquoi, hélas ? Voyez tout ce monde qui est venu vous entendre.

— Et d’abord pour entendre le président.

Je note la simplicité de l’homme, une amabilité sans apprêts, sans contrainte. Il sait qu’hier encore j’étais professeur à Valleyfield. En homme habile, il porte tout de suite de ce côté la conversation. Et c’est ce jour-là qu’il me tient, sur les humanités gréco-latines, les propos que j’ai quelquefois rapportés :

— Où en est-on, dans nos collèges du Québec, au sujet des humanités classiques ?