Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

III

SOUVENIRS DE MON TEMPS D’ÉCOLE

Il m’en reste peu. À Vaudreuil, sur la deuxième terre du rang des Chenaux, nous n’habitions qu’à dix-sept ou dix-huit arpents de l’école du village pour garçons, une Académie des Clercs de Saint-Viateur. Le matin, le clocheton de l’Académie sonnait un quart d’heure avant l’ouverture des classes. Nos grègues chaussées, je veux dire nos gentils souliers de bœuf aux talons ailés, d’une seule haleine, nous pouvions nous rendre à temps. Je pris ce chemin à six ans, un matin de septembre 1884. Je ne sais au juste ni pourquoi ni comment, mais je n’ai jamais oublié mon émotion de ce matin-là. Lorsqu’à la maison, ma mère eut terminé ma toilette et que je franchis la porte, une impression nette et poignante m’assaillit : celle d’un premier départ, de la première séparation d’avec mon chez-moi. Et depuis lors, je n’ai jamais vu partir un petit enfant pour l’école, sans me demander, avec un peu de mélancolie : « Sait-il quelle brisure il vient de faire en sa vie ? »

Tous, à la maison, nous aimions l’école et l’aimions beaucoup. Aucun mauvais temps ne pouvait nous empêcher d’y aller. Dans les grandes tempêtes d’hiver, l’un de nos plaisirs, pour nous les plus petits, c’était de nous couler sous les robes de poil, au fond de la boîte carrée. L’aîné, mon frère Albert, menait le cheval. Puis, — le fait est historique, je l’ai raconté dans Les Rapaillages, au chapitre « Les Adieux de la Grise » — arrivés à l’école, le grand frère n’avait qu’à virer la bête qui, sans rien d’autre que son discernement, s’en retournait aux Chenaux. D’ordinaire, mê-