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mes mémoires

des aïeux. Mais voici que vient l’histoire, doctrine et maîtresse vivantes, passé et tradition recueillis et condensés. Tout le butin glorieux qu’elle a glané le long des routes du passé, elle l’offre à nos intelligences et elle nous fait entrer en possession de notre patrimoine spirituel. À la transmission du sang va maintenant s’ajouter la transmission de l’esprit.

Par le magistère de l’histoire, ce qui n’était que vestige presque effacé, tendances ou instincts, devient conscience, idéal et volonté. Oui, nous sentons à n’en pas douter un levain mystérieux secouer notre héroïsme en puissance ; dans nos âmes de fils, toute la vertu héréditaire se réveille et afflue, et les volontés des ancêtres s’imposent à nos consciences d’héritiers comme des impératifs catégoriques… De l’ensemble des actes des ancêtres, de leurs résolutions et de leurs attitudes dans le labeur quotidien et aux heures plus graves, se dégage une pensée particulière, une intention longue et perpétuelle, qui est la tradition. L’histoire s’empare de cette pensée ; elle la dissémine au fond de l’âme de tous et elle crée la lumière et la force qui ordonnent les activités innombrables d’un peuple et le poussent à l’accomplissement de ses destinées.

Aujourd’hui, certes, j’abrégerais de beaucoup cette dissertation un peu diffuse ; j’atténuerais le rôle par trop souverain de la discipline historique ; je lui assignerais surtout un rôle plus désintéressé, plus dégagé. Entre autres choses je ne dirais pas qu’elle a pour fin d’orienter ou de diriger la vie des peuples ; tout au plus affirmerais-je qu’une fois écrite, l’histoire, même la plus objective et la moins engagée, ne saurait ignorer le dynamisme qu’elle porte en soi, les impulsions où peuvent entraîner son magistère et la leçon de ses expériences. J’ai voulu toutefois transcrire cette page de L’Action française, ne serait-ce que pour indiquer l’évolution que subit, avec le temps, ma pensée d’historien, si évolution il y eut.