Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/301

Cette page a été validée par deux contributeurs.
291
deuxième volume 1915-1920

Je viens de le dire : l’abbé Hébert avait vécu le meilleur de sa vie dans l’ombre d’un collège. Éducateur-né, il apporte à l’œuvre insigne les qualités qui en rendent digne. Les témoins de sa vie peuvent l’attester : il s’écrasera de travail pour ne point trahir son ministère. Méditatif, d’une vie intérieure profonde, il sera remarquablement de son temps. Je le range dans l’équipe de ces jeunes prêtres qui, après 1900, s’emploient à éveiller, dans la jeunesse, l’inquiétude religieuse et patriotique. Le problème national, ils s’efforcent de le dégager des étroites lisières du problème politique. Vingt ans au moins avant l’établissement officiel de l’Action catholique, ils essaient de montrer à la jeunesse laïque son rôle dans l’Église. À Valleyfield, l’abbé Hébert, je puis le dire, marque une génération de collégiens. Ce n’est pas lui qui eût pensé s’acquitter de sa tâche d’éducateur en formant des jeunes gens sans racine, sans prise sur le réel, non plus que des jeunes chrétiens d’un christianisme spéculatif, désincarné, fantômes précoces qu’on voit s’avancer dans la vie, les yeux clos sur ce qui se passe autour d’eux. Je rencontre parfois quelques-uns de ses anciens : ils n’ont pas oublié avec quelle verve originale, quelle conviction conquérante, il leur enseignait et leur religion et l’histoire de leur pays ! Pour concilier les deux tendances apparemment divergentes de l’universalisme et de l’incarnation de la foi catholique, il aimait répéter : « Tout l’univers dans les yeux, mais les pieds quelque part. » On ne sera pas étonné de le voir intimement mêlé, en son collège, à la seconde Croisade d’adolescents, celle de 1910 à 1914.

Je regardai se fermer cette tombe et je n’ai jamais si bien compris les deux sens du mot « souvenir » : survivance dans la mémoire, mais aussi évocation de l’irrévocable, d’un passé mort. Un souvenir, je le sentis, ne mourrait jamais en moi. Mais quelque chose était bien mort, ô mon ami, ces années qu’ensemble nous avions si fraternellement vécues.