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mes mémoires

Mort de l’abbé Antonio Hébert

J’ouvre, si je puis dire, une parenthèse, mais une parenthèse avec majuscule et cernée de traits noirs. Pas plus que les autres événements les bonheurs ne s’enchaînent. Presque en même temps où j’entrais au presbytère de l’abbé Perrier, un deuil m’atteignait cruellement : la mort de l’un de mes meilleurs amis de Valleyfield, l’abbé Antonio Hébert. Pourquoi rappellerai-je ici ce souvenir ? Il y a des morts qui laissent après elles, comme l’on sait, trace vive et longue. Elles ressemblent à ces bornes et à ces stèles qui, sur la route, marquent la fin d’une étape. Après la disparition de cet ami, c’est un peu un chapitre de ma vie, nos années de jeunesse sacerdotale qui mélancoliquement s’envolent. Je me souviens de cette blessure qui prit du temps à se fermer.

J’ai dit en quelle intime collaboration, au Collège diocésain de Valleyfield, nous avons tous deux travaillé pendant six ans. Il est professeur de Belles-Lettres ; j’enseigne la Rhétorique. Nous avons pu ajuster nos enseignements et les compléter l’un par l’autre. Au Collège, il a souffert plus que personne de l’incompréhension du milieu. Malade, il a dû s’en aller avant moi. Et ce départ, je ne l’ai pas caché, m’a fort incliné moi-même à partir. On l’a nommé curé dans une paroisse reculée du diocèse : Saint-Antoine-Abbé. Il y recueille une succession pénible. Les difficultés de son poste, sa façon de s’y donner usent rapidement ce cardiaque de santé fort compromise. Miraculé de Sainte-Anne-de-Beaupré, guéri vers les vingt ans d’une ostéite au genou qui menaçait de lui fermer l’accès au sacerdoce, il ne sait que faire, eût-on dit, pour payer sa dette au ciel. Avait-il le pressentiment d’une existence plutôt brève ? Vivre deux vies dans une semble sa devise. Au bout de quelques mois de ministère, il prend le chemin de l’Hôtel-Dieu de Montréal pour y mourir le 31 décembre 1916. Quelques jours après ses funérailles, à Sainte-Martine de Châteauguay, j’écris un article-souvenir dans Le Devoir du 19 janvier 1917, que j’insère ici :