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mes mémoires

— Iriez-vous enseigner à l’École des Hautes Études commerciales ?

— Et pour enseigner quelle matière, Mgr le recteur ?

— L’histoire du Canada, l’histoire universelle et l’histoire du commerce, depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours.

— Rien que cela ! Et ces matières, n’y avait-il personne qui les enseignât ?

— Oui, mais le professeur se refuse à continuer ces cours par manque d’autorité sur les étudiants… On l’accable de chahuts. Et pourtant ce professeur chahuté s’appelait l’abbé Adélard Desrosiers, principal de l’École normale Jacques-Cartier.

Je comprends que l’on veut surtout me donner les moyens de gagner ma vie. Le vice-recteur me l’avoue d’ailleurs candidement : « La Faculté des arts n’a pas de budget ; impossible de vous payer ; mais il faut tout de même que vous gagniez votre vie. » Et il se trouve que mon premier cours d’histoire du Canada m’aura mené à l’École des Hautes Études commerciales et m’aura permis de gagner la somme de $15 par semaine. Le plus haut traitement qu’on m’eût encore servi. Pendant cinq ans, dans la maison de la place Viger, alors tenue pour imposante et opulente, en relief sur la grisaille de la plupart de nos maisons d’enseignement, j’enseignerai les trois matières ci-haut nommées, sans préparation bien prochaine évidemment. Mais nous sommes encore à l’époque où tout honnête professeur, du seul fait de sa nomination, peut et doit se croire toutes les compétences et aller même jusqu’à se prendre pour une encyclopédie. Cette première semaine de novembre, j’irai donc affronter cette classe d’étudiants rébarbatifs dont on m’a parlé : petite collection de parfaits indisciplinés, une soixantaine, échap-